"Un bien triste sort.
Le sort s'acharne.
Les cruautés du sort.
Un sort pire que la mort."
Il n'y a pas à tortiller, le Sort a mauvaise réputation... Mais il l'a un peu cherché, non ? N'est-il pas responsable de nos petits bobos et gros fardeaux ? N'est-ce pas lui qui nous balance à tour de bras des obstacles dans les pattes avec l'entrain d'un coach de crossFit sadique ?
En réalité, il s'agit de notre point de vue de mortels jamais contents...et ignorants."La Destinée, la Mort et moi, comment j'ai conjure le sort" va nous plonger dans l'envers du décor des puissances divines et nous révéler le secret des Cieux.
Le héros du roman de S.G Brown n'est autre que le Sort alias Sergio Fatum*. C'est à lui qu'incombe la tache ingrate de nous attribuer à la naissance des sorts censés déterminer nos vies. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ces destins sont parfois très prometteurs ("producteur de cinéma, quart-arrière remplaçant dans une équipe de la NFL, la ligne nationale de football américain, gouverneur de Californie") mais si ces beaux projets pourrissent presque systématiquement dans l'oeuf**, c'est parce que nous autres humains possédons un talent rare... celui de la contreperformance :
"Chaque fois qu'un de mes humains fait un choix crucial, je dois réévaluer son avenir. Revoir son sort. Et à chacune de ces décisions, je regarde une écrasante majorité d'entre eux se planter en beauté", explique notre Sergio qui n'est pas spécialement jouasse de se coltiner "ad aeternam, une flopée de pédophiles, de consommateurs compulsifs, bref, plus de 5 milliards et demi de ratés en tout genre infoutus de se démerder tout seuls". De fait, il songe même à une reconversion. Passer des millénaires à regarder ses "sujets" (nous, donc) commettre erreur sur erreur, c'est trop, même (surtout?) pour un Immortel. "Parfois, j'ai l'impression d'être une nounou à qui l'on a confié une bande d'enfants gâtés, mal élevés et ingérables". Dur dur donc. D'autant plus que face à l'explosion démographique mondiale Sergio en est réduit à pondre et à distribuer des avenirs la chaîne (et donc de bâcler le travail mais ça on s'en était aperçu avant même de lire ce roman) et qu'il lui est interdit de nous sauver la mise en cas de pépins. Sa fiche de poste est très précise : "Règle N.1, pas d'ingérence". Rapport à la loi du libre-arbitre.
Le royaume des Cieux est en effet régi par des règles strictes et son organigramme est complexe mais savoureux. Dieu est un type qui s'appelle Jerry (Jerry le Grand, Oz le Grand etc...) et qui porte des Birkenstock (est-ce un fumeur de gitanes ? Ce n'est pas précisé ici). Il gère une équipe où les rôles sont bien définis. Il y a les péchés capitaux, les vertus théologales et cardinales -comme Destinée, la crâneuse nymphomane, Justice le sociopathe etc...- les Intangibles, comme Lady la Chance, Créativité, Hasard...- les Attributs comme Humour ou encore les Emotifs.
Tous opèrent sur le terrain (la terre donc) et selon leurs fonctions, mettent leur grain de sel dans notre quotidien, grain de sel qui pourra, au choix, devenir grain de sable dans l'engrenage, caillou dans la chaussure voire rocher sur le dos, à la Sisyphe. Ils s'acquittent de leur tâche sans trop d'états d'âme car dans l'absolu, les humains n'ont pas la cote Là-Haut : techniquement, ils sont considérés comme un virus" et il est interdit de fricoter avec eux.
"Ne t'approche pas trop des humains. Ils sont contagieux", rappellera d'ailleurs Karma au Sort.
Mais c'est déjà trop tard pour Sergio. Il a croisé la route de Sarah, une humaine hors du commun et il en est tombé amoureux. Cet amour lui apporte un souffle nouveau et les évènements vont vite échapper à son contrôle quand il va allègrement enfreindre la Règle N.1 et plusieurs autres dans la foulée.
Cette idylle interdite mais impérieuse aura de lourdes conséquences. Dans l'intervalle, elle va amener Sergio à mieux comprendre les mortels, leurs fragilités, leurs inconséquences et tout ce qui constitue leur humanité... un transfert empathique intéressant pour un être qui n'a toujours connu que l'immortalité :
"C'est peut-être ça en fin de compte, être humain. Se connecter aux autres. Développer un certain sens de la camaraderie. Partager son expérience de la vie, plutôt que collectionner les réussites personnelles ou lutter seul dans son coin. Peut-être que chacun de nous a quelque chose à apporter."
"La Destinée, la Mort et moi" est un roman enlevé, inventif, à l'écriture ciselée. Le texte est réjouissant car il reste très profond. Ce qui pourrait passer pour un délire est en réalité une critique de la société de consommation, une réflexion très juste sur la recherche du bonheur, la nature humaine et sa médiocrité, le tout abordé avec beaucoup d'humour et de tendresse.
Les échanges entre les différentes puissances en action sont un pur régal. Comme celui-ci, entre Amour et Sergio :
"Pourquoi les hommes mortels croient-ils tous être amoureux de l'idée qu'ils se font de moi, plutôt que de l'élue de leur coeur ? se lamente-elle.
- Chaque humain est censé en aimer un autre ? Je demande.
- En théorie oui. Mais pour une raison ou pour une autre, ça ne se passe jamais comme prévu. On dirait bien que Luxure, Désir et Béguin, sont les coqueluches depuis quelques temps.(...)
La vérité Sergio, c'est que l'amour c'est comme un bon bouquin, tu le dévores mais tu voudrais ne jamais le terminer. Seulement, avec Béguin et Luxure, au lieu de savourer l'intrigue au fil de la narration, tu sautes des Chapitres pour te rendre direct au dénouement".
Si on s'en tient à la définition d'Amour***, "La Destinée, la Mort et moi, comment j'ai conjuré le sort", est une pépite.
*Sergio Fatum est Taureau comme moi, un petit détail qui m'a fait craquer encore plus pour ce personnage haut en couleur
**Pourrir dans l'oeuf : mourir dans l'oeuf mais en pire.
*** Passe me voir à l'occasion, copine 😉💙
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