Puis-je encore te souhaiter la bienvenue en 2014, alors que ce début d'année est manifestement placé sous le signe du désordre et du grand déballage. Des journalistes hystériques se livrent avec un emballement douteux à ce qui relève plus du tapage que de l'information. D'abord la chasse à la quenelle. Fichtre, après 10 ans de boycott d'où nous vient ce retour de flamme ? Désormais, entre appels au meurtre, élucubrations darwiniennes et autres merguez de pseudos humoristes-intello en mal de reconnaissance, on voit venir l’hallali et je doute qu'on nous épargne les images hardcore de la curée.
Dans un autre style et pour varier les plaisirs, est ensuite sorti le spin-off élyséen classé X. Je ne sais pas à quoi carburent nos hommes politiques, mais c’est de la bonne. Tu l'imaginais en bourreau des coeurs, toi, le président ?
Pas moi… mais après avoir scruté les photos de Closer, j'arrive désormais à me représenter la scène. D'autant que d'après les allégations des médias, les nuits fauves du président se déroulent dans un appartement situé… rue du Cirque (ça ne s'invente pas) :
"Boite à outil à la main, casque de moto vissé sur le crâne, et cravate de traviole, François se dirige d'une démarche chaloupée vers la porte cochère d'un immeuble cossu du VIII arrondissement de Paris. Il sonne à l'interphone et une voix suave ronronne : - Oui ? - Bonjour madame, je viens pour réparer la photocopieuse".
Merci pour ce scoop et cette vision qui ne se décollera plus jamais de ma rétine. En revanche, c'est vache pour Valérie. Celle que Twitter avait rebaptisée "la Première Mégère de France", est devenue grâce à Closer, la Première cocue de France… et a atterri tout droit à l'hosto, "très éprouvée" par tous ces commérages.
Si je te parle de tout ça, c'est que j'ai un truc à t'avouer… et c'est pas joli-joli.
J'en suis.
Je suis journaliste, je veux dire.
Very bad timing pour faire son coming out, je le reconnais.
A force de jouer au "Tintin de caniveau" et de produire des reportages de fosses septiques, certains confrères ont contribué à nous forger une solide réputation de fouilles-merde. C'est toute une profession qui est aujourd'hui "décré-débilisée" et nos compatriotes sont de plus en plus nombreux à évoquer les travers des "meRdias".
J'aurais préféré me voiler la face comme cet éboueur qui s'exprimait à la radio, l'autre jour (je m'intéresse beaucoup à eux, puisqu'on travaille dans le même secteur : les ordures). Le jeune homme s'étonnait que son uniforme vert sapin désodorisant échoue à éveiller la concupiscence de ces dames. "Oui, parce que bon, normalement, elles aiment bien les uniformes, regardez les pompiers". Il était mignon.
Pour en revenir à nos moutons de Panurge, les médias ne cherchent visiblement pas à plaire. Ils veulent de la castagne, des tripes à l'air, comme les Romains. Durant mes années-collège, lorsqu'éclatait une baston, toute la classe se mettait à scander "du sang, du sang, du sang!". Il faut croire que les journalistes sont restés de grands enfants.
Depuis un mois, la meute hurle à l'unisson. Dès qu'il y en a un qui faiblit, l'autre enchaîne. Une fois que le la est donné, ça roule tout seul : en mégaphones qui se respectent, les médias relaient ad nauseam dyarheam eceteram. En sport, ça s'appelle l'émulation, en journalisme, c'est l'effet caisse de résonance.
La concurrence médiatique n'arrange rien : il faut battre son voisin de vitesse, et si on échoue, tonitruer pour donner le change. Et quand y en a plus, y en a encore parce que c'est comme le jeu de la barbichette : "le premier qui lâchera sera une tapette".
Dans cette cacophonie, tu ne t'entends même plus raisonner. Beaucoup ont renoncé… D'autres n'ont même pas essayé. Et puis d'abord, pourquoi faire ?Puisque les journalistes sont là pour penser à ta place, crénom ! En cela, on ressemble beaucoup aux personnalités politiques, c'est peut-être pour ça qu'on couche avec. Mais ces relations quasi consanguines durent rarement : on nous préfère souvent les actrices ou les femmes de ménages.
Voilà. Donc j'en suis. Ce cirque me saoule autant que toi. Voire plus, puisque je subis la chose de l'intérieur et que je peux difficilement débrancher le fil AFP sans m'exposer à de sévères représailles. Mais c'est la honte.
Mes parents, les pauvres, essaient de sauver la face : ils disent que je gagne honnêtement ma vie. Que je suis un genre de buraliste. Que je passe mes journées dans un bureau à établir des listes. Ce qui n'est pas très éloigné de la vérité, quand on y pense. Tu te rappelles le scandale du Mur ? Non, pas celui de l'ennemi personnel du ministre du Désordre Intérieur, mais celui des magistrats, le fameux "Mur des cons" : ils y avaient épinglé les photos de personnalités politiques et de journalistes.
Les médias n'abritent peut-être pas dans leurs locaux des panneaux aussi visibles, mais ils ont aussi leur petite liste secrète : de mots à éviter, de sujets autorisés, blablabla. Elle évolue en fonction des actionnaires, des gouvernements, des conditions météorologiques, des variations hormonales des uns et des autres. On pourrait titrer "Carte de presse dans la tourmente tournante". Sauf que ce viol n'a pas lieu dans une cave, à l'abri des regards mais bien au chaud, dans les rédactions.
Hier, j'ai relu la charte de la profession. Elle prétend que le journaliste :
- défend la liberté d'expression, d'opinion, de l'information, du commentaire et de la critique
- proscrit tout moyen déloyal et vénal pour obtenir une information
- ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge.
…
L'éthique journalistique, c'est comme la devise de la République : "liberté, égalité, fraternité" : très beau sur le papier, mais enquiquinant à appliquer.
Bonne année quand même !
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